Les Humeurs Cérébrales

Leur histoire commença jadis, quand les flots déchaînés balayaient les côtes corréziennes.

C’est au fin-fond des campagnes reculées qu’on recrutait les marins les plus hardis, les gens du littoral n’étant pas assez fou pour se risquer dans un élément liquide imbuvable.
Aussi les ingénus des bourgs faisaient de bons mousses ; les bûcherons des forêts profondes devenaient de hardis gabiers, les filles de fermes un peu cruchasses se transformaient en vaillantes aventurières et les bergers sans noms en intrépides bourlingueurs.

Il était donc courant en ces temps reculés que des pères excédés par leurs inadaptés rejetons improductifs au cul des vaches, les envoient dans les ports afin qu’ils se trouvent embarquement et pitance.

Les capitaines au long cours étaient souvent des forbans sans foi ni loi, trafiquant sans vergogne de tout à tous, pourvu qu’il y ait des espèces sonnantes et trébuchantes à y gagner. Ils étaient peu regardant sur la qualité de l’équipage, aussi s’y mêlait-t-il les pires fripouilles en rupture de ban, moines défroqués, idiots du village ou ménestrel poursuivis pour quelques dettes de jeu.

Bref des rebuts de la société des gens bien.

La gourgandine et les quatre velus des « humeurs cérébrales » ne dérogent hélas pas de cette triste fatalité. Sortis de leurs glèbes fangeuses, ils échouèrent là où tous les réprouvés se retrouvent. De corsaires en boucaniers ils parcoururent les sept mers, affrontant typhons et krakens, pirates et cannibales gourmands. Devenus plus forts et burinés par les embruns, ils mirent en commun leurs économies et affrétèrent une goélette en pin des Monédières qui répondait au curieux nom de « humeurs cérébrales ».

Ces rudes clampins avaient glané au cours de leurs voyages moult chansons et mélodies exotiques, glapies par les indigènes des îles de Bretagne ou par les anthropophages des bleus lagons d’Auvergne. Bricoleurs et ingénieux comme tout bons marins, avec leurs grosses mains caleuses ils se firent des instruments de fortune. Tout leur était bon, carapaces de tortues, noix de coco, crins de licornes et tibias de langoustes.

Depuis, à chacune de leurs escales dans des ports dont nul ne parle, ils réjouissent les naturels par leur bonne humeur et par leurs musiques surprenantes et enjouées.